Une heure. Ce voyage a duré une heure. Une petite heure, montre en main. Un voyage en terre inconnue, un mélange de sons et de chants venus d’un autre âge, d’un pays lointain. Quand les lumières se sont rallumées, j’ai remis ma veste, empoigné machinalement mon reflex et j’ai remonté les marches du petit théâtre du Quartz scène nationale de Brest. J’ai croisé une amie qui m’a demandé « Alors ? » et j’ai été incapable de répondre. Tellement ce que je venais de vivre m’avait séché. Kintsugi ne ressemble à rien de connu, rien que je puisse identifier. On sait seulement, en quittant ce monde, qu’on a plus vécu une expérience musicale qu’un concert lui même. Kintsugi, c’est un voyage dans l’imaginaire du son, merveilleusement servi par trois guides, trois pointures dont deux au moins ne m’étaient pas inconnues. Serge Teyssot-Gay, alchimiste, explorateur, infatigable voyageur, poète rimbaldien aux semelles de vent, curieux de tout, magicien capable d’extirper des sons inouïs de sa Fender. Pour lui donner la réplique, Gaspar Claus, petit prince du violoncelle, arpèges virevoltants, au jeu vivace et fougueux. Entre les deux, la fille du samouraï. On la dit égérie survivante du post rock néo-punk nippon, de ses tatouages tribaux on pourrait la croire tout droit sortie d’un manga japonais. Accrochée à son biwa, un instrument traditionnel dont elle sort des sons cinglants, Kakushin Nishihara est le guide suprême de ce voyage. Elle marche, entourée de créatures étranges et on la suit, dans ce périple hypnotique. Une heure. Une petite heure, pour oublier le présent, goûter à des parfums d’ailleurs.
Kintsugi. La musique règne.
Quand la voix de Kakushin Nishihara déchire le silence et qu’elle envahit la salle, le public est pétrifié, extatique. C’est un dialogue à quatre, guitare, biwa, violoncelle et une voix, cette voix profonde, gutturale, de ces voix qui vous transpercent, qui vous enlacent et vous emportent. Mon regard de photographe est naturellement d’abord attiré par les repères visuels qui ne me sont pas inconnus, à commencer par Teyssot-Gay. Ex-charismatique frontman de Noir Désir, je l’ai surtout photographié en dehors de ce groupe, au sein d’expériences musicales mémorables. Avec Interzone et Khaled Al Jaramani, comme avec Zone Libre, Joëlle Léandre, le comédien Denis Lavant ou le Meteor de Rodolphe Burger, chaque fois que j’ai eu le privilège de croiser Teyssot-Gay sur une scène, il s’est passé quelque chose d’inhabituel. Comme un frisson, un supplément d’âme. Teyssot-Gay apporte ce petit rien indéfinissable, cette touche subtile, ce phrasé inimitable, ce gimmick savoureux qui nous rappelle qu’il est l’un des meilleurs guitaristes de sa génération. Quelques notes rondes et douces, comme un ilot, un instant de pop, un zeste de romantisme occidental d’un voyageur égaré au pays du soleil levant. Et comme pour lui répondre, le violoncelle de Gaspar Claus apporte une touche néo classique. Kintsugi réalise la fusion, la rencontre des mondes. La musique règne.
Alors ? Je n’ai rien dit. Je savais seulement que je rapportais de mon voyage des images que je garderais longtemps, comme une preuve tangible que je n’avais pas rêvé. On m’a dit plus tard que kintsugi désigne une laque saupoudrée d’or, utilisée au Japon pour recoller les porcelaines brisées ou ébréchées. Kintsugi c’est plus qu’un groupe, plus qu’un power trio, plus qu’un voyage, plus qu’une expérience musicale. C’est un trait d’union, un pont jeté entre les cultures, la musique, toutes les musiques. Kintsugi ne ressemble à rien car c’est un tout qui réussit la synthèse, la symbiose, la rencontre entre orient et occident, entre une ex-égérie punk, un frontman de légende et un petit prince néo classique. De ces concerts dont on ressort heureux, apaisé et grandi.
• Kintsugi en concert au Quartz scène nationale de Brest, le mardi 3 avril 2018. Merci à l’équipe du Quartz pour son accueil et à Penn ar Jazz pour sa confiance.
• les clichés du concert de Kintsugi au Quartz scène nationale de Brest sont en ligne sur Cinquième nuit