Difficile de passer à côté de Juliette Armanet. Je l’avais repérée, notée, stickée, surlignée depuis plusieurs mois dans mon petit carnet au chapitre roadmap concerts, en me promettant de la croiser dans les collimateurs de mon reflex Nikon, dès que j’en aurai l’occasion. L’occasion s’est présentée. La demoiselle allait passer par Brest, aux premiers jours de mars, comme une hirondelle qui annonce le printemps. Illico, j’adressais une demande d’accréditation à la Carène, mon estimé bunker palace du port de commerce, dans lequel j’ai vécu d’intenses émotions de concerts, depuis sa création il y a une dizaine d’années. À quelques jours de la date, la mauvaise nouvelle est tombée. Pas d’accréditation pour un photographe indépendant. Je ne vais pas vous dire que ça m’étonne. Aujourd’hui, avec le développement de la photographie numérique et des réseaux sociaux, les productions croulent littéralement sous les demandes d’accréditation photo. Sans compter que les mêmes productions constatent bien souvent un résultat esthétiquement discutable à l’issue de leurs concerts. Alors elles choisissent et on les comprend, de rejeter les demandes de « photographes » en bloc et les premiers à en pâtir sont les professionnels dont c’est le métier et accessoirement le seul moyen de subsistance. Dont acte. Je serai donc privé de Juliette. Contre cette mauvaise fortune, j’ai donc décidé d’ouvrir mon cœur. Ni une ni deux, j’ai composé un message et j’ai jeté une bouteille à la mer, croisant les doigts pour qu’on entende ma supplique. Victoire. J’ai été entendu. Une voix douce s’est penchée à mon oreille et j’ai su à ce moment-là que j’avais bel et bien rendez-vous avec Mademoiselle Armanet, dès le lendemain, à Brest même.
Juliette Armanet. Une hirondelle a fait mon printemps.
Trois premiers titres sans flash. Je ne vais pas vous redire ici ce que je pense de cette règle édictée, parait-il, il y a quelques années pour un concert des Stones. Bref, trois premiers titres sans flash, c’est toujours mieux qu’une tisane, un suppo et au lit. Arrivé devant la Carène, une queue interminable, digne d’une boulangerie polonaise sous Jaruzelski, s’est déjà formée. J’observe les gens, le public qui s’est déplacé très nombreux ce soir, et je constate qu’il y a de tout. Des jeunes, des très jeunes, des moins jeunes. Des petits couples d’amoureux collés serrés, des retraités, des quadras, des gens en somme, un vrai panel représentatif façon Ifop et ça, c’est plutôt rassurant pour cette jeune artiste qui débute et qui semble déjà bénéficier d’une vaste et large audience. Dans le public, il y a aussi ma meilleure moitié qui a acheté sa place depuis un bail et ça, c’est aussi un signe qui ne trompe pas. Trois premiers titres sans flash, un seul photographe indé accrédité, deux bonnes raisons de prier le bon dieu et tous ses saints pour ne pas se louper. Je rentre dans le pit sans trop d’angoisse, direction côté cour. Pour l’occasion, j’ai avec moi mes deux reflex Nikon – D4s et D500 – et mes deux optiques de prédilection, je sens que ça va le faire. D’abord parce que je suis à la Carène, qui est une salle que j’aime, servie par une technique lumière digne des meilleures salles de France. Et parce que, de ce que j’en ai vu, cette demoiselle sait faire le show. Et puis des filles sur scène qui envoient du bois, ça va, hein ? J’ai déjà donné. On se rassure comme on peut.
Première partie. Ricky Hollywood. Un nom qui sonne côte ouest, longues routes californiennes, ballade cheveux au vent dans la Ford Mustang cabriolet 1967, avec la fille de ses rêves carrossée comme Rita Hayworth. On est un peu dans le registre Philippe Katerine, tant dans la voix que dans la touche electro un brin déglinguée. Ça se tient, c’est assez soft et pour tout dire plutôt agréable. D’ailleurs le public ne s’y trompe pas et joue le jeu. Petit moment de gloire pour une demoiselle qui monte sur scène et qui elle aussi fait le show. On retrouvera Ricky Hollywood pendant le concert de Juliette Armanet puisqu’il n’est autre que son batteur. Allez ! C’est maintenant. Sur scène, backstage, j’aperçois un régisseur qui s’approche, envoie le signal lumineux. Noir salle. Les deux gros matous Nikon, en position ON, sont prêts à ronronner. Juliette Armanet déboule sur scène en courant, se fige, prend la pose façon culturiste, avec un sourire qui en dit long sur son envie, que dis-je ? Sur sa gourmande impatience d’y aller et d’en découdre. Celle qui vient de recevoir une Victoire de la musique dans la catégorie album révélation de l’année rejoint son piano. Dès les premières notes, dès la première intonation, impossible de ne pas voir une évidente filiation avec Véronique Sanson. Même groove, même feeling, même fougue, même ardeur mâtinée de douceur. Et dans le viseur, cette fille ne déçoit pas.
Trois premiers titres sans flash, si je tenais le crétin qui a imaginé cette règle à la con, je lui ferai volontiers bouffer mon stock de TriX. Dieu merci, dans la fosse de la Carène, la circulation est relativement fluide. Derrière son piano, la pause est parfaite, dieu que cette fille est jolie. One shot. Les clichés s’engrangent dans les deux reflex avec une régularité métronomique, il faut faire vite, assurer la prise car le temps passe à une vitesse incompressible. Voilà, pour moi c’est déjà fini mais je sais que c’est dans la boîte. Il me reste le concert pour savourer les titres de l’album « Petite amie » en live. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que c’est bon, c’est vraiment très bon. On dégage le piano et là on découvre une autre facette de l’artiste qui chante, danse, virevolte. Juliette Armanet est une artiste à temps plein et quand elle est sur scène, rien ne la retient, même pas de faire monter un Alexandre du public pour lui susurrer le titre éponyme. De la tendresse, un zeste d’humour un brin décalé quand elle reprendra le titre « I feel it coming » dans une relecture frenchie à sa façon, un brin hardcore, avec son petit air de pas y toucher. De l’émotion quand le public lui souhaitera son anniversaire (elle fêtait ses trente quatre ans ce soir à Brest) et qu’elle soufflera les bougies d’une petit gâteau improvisé.
J’ai vu beaucoup d’artistes sur scène, j’ai photographié pas mal de filles en live. Mais ce samedi soir, à Brest, au début du monde, j’ai eu le sentiment d’assister à une naissance, au début d’une belle et grande histoire. Juliette Armanet m’a sidéré, m’a bluffé, m’a scotché. Ce que je pressentais s’est confirmé, cette jeune auteure compositrice interprète n’est pas une case de plus à cocher, une ligne à surligner au stabilo, au rayon variété française, non. Juliette Armanet est entrée de plain pied dans le paysage musical français, une Victoire à la main et quelque chose me dit qu’on va en entendre beaucoup parler. Moi, je suis rentré à la maison sans dire un mot, n’attendant qu’une chose. Retourner au pays des merveilles de Juliette et le plus tôt sera le mieux.
• merci à Yves Simon à qui j’ai emprunté le titre de ce billet.
• merci à la Carène pour son accueil, merci à Corida et au management de l’artiste pour leur confiance. Last, but not least, merci à Juliette Armanet pour les regards, l’énergie, le sourire. On se reverra, c’est écrit.